Livres écrits par Ferdinand Gonseth

Ferdinand Gonseth : Logique et philosophie mathématique

(réédition)
Hermann, coll. Savoir, cultures, Paris (1998); 190 p.
ISBN 2-7056-6363-X

L'adéquation de la connaissance au réel s'actualise sous forme d'une concordance schématique. Cette conception est le fondement d'une méthodologie qui arbitre les contributions de l'expérimental, de l'intuitif et du théorique sous forme d'une synthèse dialectique.

Les débats consacrés, dans l'entre-deux-guerres, aux fondements des mathématiques ont permis à Ferdinand Gonseth de jouer un rôle important. Professeur de mathématiques à l'École polytechnique fédérale de Zürich, il publia en 1926 son livre Les fondements des mathématiques, préfacé par Jacques Hadamard. Le sous-titre De la géométrie d'Euclide à la Relativité générale et à l'intuitionnisme; indique bien l'idée de synthèse qui l'animait. Dix ans plus tard, en 1936, il faisait paraître son œuvre maîtresse, Les mathématiques et la réalité, essai sur la méthode axiomatique.

L'exposé que fit Gonseth de ses idées au Congrès Rougier à Paris en 1935, et qui fut publié dans les Actes du congrès sous le titre provocateur La logique en tant que physique de l'objet quelconque, donna lieu à une rude querelle. C'est à la suite de cet exposé que F. Enriques, lui-même auteur en 1909 d'un ouvrage remarquable sur Les problèmes de la science et de la logique, lui demanda d'écrire, pour la collection qu'il dirigeait chez Hermann, un volume sur ce sujet. Qu'est-ce que la logique parut en 1935. Gonseth y analyse successivement la Logique de Port-Royal (1662), les Principia Mathematica de Whitehead et Russell (1925), le néo-positivisme de l'École de Vienne, les positions de Kant, de Poincaré et d'Enriques et montre sur ces exemples qu'une «doctrine préalable des vérités élémentaires» est à l'origine de tout point de vue philosophique ou, si l'on préfère, de toute systématique de la connaissance, que celle-ci soit vulgaire ou scientifique. Les grandes étapes de la logique sont en effet marquées, autant que par les progrès techniques, par les variations de la doctrine préalable qui informe toute l'activité mentale. Dans une seconde partie, il expose, en quelques chapitres aux titres percutants (La physique de l'objet quelconque, La Logique comme Canon naturel de nos jugements, La Logique comme Charte de certaines libertés naturelles), son propre point de vue, qu'il résume en ces termes : «Appliquée aux fins de l'action, [la logique] est une technique mentale qui opère à l'aide de représentations sommairement adéquates des réalités les plus primitives et construit avec elles des analogies schématiques pratiquement efficaces».

Gonseth conteste ainsi à la logique son statut habituel de science formelle a priori et la réduit à celui de science naturelle («La logique devra prendre l'aspect d'une science naturelle de caractère très primitif, qu'on pourrait peut-être appeler la «physique de l'objet quelconque», Les mathématiques et la réalité, p. 155), relevant ainsi de la connaissance générale qu'il décrit comme : «Un accord schématique entre un Réel inachevé et un Esprit en devenir».

En 1938, Gonseth organisa, en collaboration avec Jean-Louis Destouches, les Entretiens de Zurich sur les fondements et la méthode des sciences mathématiques. Une trentaine de mathématiciens, parmi lesquels Lebesgue, Fréchet, Bernays, Sierpinski, y exposèrent des réflexions liées à leurs recherches personnelles. Lebesgue affirma notamment ne pouvoir se satisfaire que d'une philosophie sortant de l'expérience des mathématiciens eux-mêmes, (...une philosophie de seconde zone !). S'appuyant sur cette exigence, Gonseth conclut que la méthode de la recherche mathématique est de nature dialectique, c'est-à-dire qu'elle ne part pas d'un schéma a priori, mais s'édifie dans une constante interaction avec la pratique des mathématiciens.

Chargé de rédiger une étude sur la question : «Qu'est-ce que les années 1937 et 1938 ont apporté de neuf à la philosophie mathématique ?», Gonseth saisit l'occasion d'exposer ses vues sur les grands thèmes de la philosophie mathématique. Il évoque successivement le problème de l'évidence, le problème du fondement, le problème de la méthode, le rôle de l'abstraction schématisante et celui de la réalisation formalisante qui sont les moments essentiels de la dialectisation de l'expérience mathématique. On est frappé, dans ce texte, par l'ubiquité du terme de ‘dialectique’ (qui n'est ni hégélienne, ni marxiste !) : dialectique de la sensation, dialectique de nos conduites élémentaires, dialectique de l'expérience systématique, dialectique du suffisant et de l'arbitraire, dialectique enrobante, dialectisation de l'expérience mathématique. Voici un passage qui illustre bien la position défendue par Gonseth :

«Le savoir scientifique n'est point un édifice conceptuel prédicatif. Les acquisitions nouvelles obligent constamment à réviser les vues courantes, jusque dans les vérités les plus élémentaires. Cette plasticité de l'édifice mental est la condition même de la permanence, de l'efficience pratique. Pour que l'objectivité persiste, c'est le normatif a priori qui cède. La dialectique de la science n'est ni close, ni immuable. Elle est en constant remaniement. [...] La connaissance objective et la dialectique correspondante ne se constituent pas à partir de positions normatives immuables, mais par une réorganisation à partir du front de l'expérience, allant jusqu'à la réinterprétation des données immédiates» [p. 38].

On doit relever sur ce point l'étonnante convergence de ces vues avec celles de Jean Cavaillès, dont l'ouvrage posthume se termine par l'affirmation «...la nécessité génératrice n'est pas celle d'une activité, mais d'une dialectique».

L'ouvrage est complété par cinq déclarations authentiques :

  • d'Alonzo Church sur l'état de la question de la formalisation,
  • d'Advend Heyting sur ce même problème, mais du point de vue intuitionniste,
  • de Wilhelm Ackermann sur diverses approches du problème des fondements,
  • de Paul Bernays sur l'axiomatisation de la logique,
  • de Leon Chwistek sur les fondements des sciences exactes.

En 1947, Gonseth fonda, avec le concours de Paul Bernays et de Gaston Bachelard et pour favoriser la diffusion de ses idées, la revue internationale de philosophie de la connaissance Dialectica. En 1948, un numéro, dirigé par Wolfgang Pauli, fut consacré à la notion de complémentarité, avec, outre ceux de Gonseth et de J.-L. Destouches, des articles de N. Bohr, A. Einstein, L. de Broglie et W. Heisenberg, c'est-à-dire cinq prix Nobel, en comptant l'article introductif de Pauli. Jolie consécration pour un empêcheur de danser en rond !

En cette même année 1948, Gonseth fut chargé de rédiger, pour l'Institut international de philosophie, un rapport sur les progrès de la philosophie des sciences durant les dix années écoulées. L'ouvrage comprend des contributions de E.W. Beth pour la logique, de Robert Feys pour la logistique, de F. Gonseth (et G.H. Müller, alors son assistant) pour la philosophie mathématique et de J.-L. Destouches sur le thème «Physique moderne et philosophie».

De 1945 à 1955, il publiera les six fascicules d'une autre œuvre maîtresse : La Géométrie et le problème de l'espace (I. La doctrine préalable, II. Les trois aspects de la géométrie, III. L'édification axiomatique, IV. La synthèse dialectique, V. Les géométries non euclidiennes, VI. Le problème de l'espace) dans laquelle il distingue les aspects intuitif, expérimental et théorique de la géométrie, pour en faire ensuite la synthèse dialectique. Il tire bien évidemment les conséquences philosophiques des découvertes faites dans ce domaine et en particulier du bouleversement provoqué par les géométries non euclidiennes.

En 1964, il publiera Le problème du temps, Essai sur la méthodologie de la recherche, ouvrage dans lequel il étudie le temps dans le langage, le temps intuitif, le temps chez les abeilles, le temps mathématique et les problèmes posés par la mesure du temps (le choix d'étalons toujours plus fiables).

Gonseth meurt en 1975, après avoir publié un dernier ouvrage : Le référentiel, univers obligé de médiatisation.

Plusieurs ouvrages ont été consacrés à la philosophie de Ferdinand Gonseth : d'Edmond Bertholet La philosophie des sciences de F. Gonseth (1968), d'Éric Emery Ferdinand Gonseth : Pour une philosophie dialectique ouverte à l'expérience (1985) et Pour une philosophie du dialogue (1995), de Pierre-Marie Pouget Pour un nouvel esprit philosophique (1994). É. Emery a également publié et commenté des recueils de textes de F. Gonseth : Sciences, Morale et Foi (1986) et Le problème de la connaissance en philosophie ouverte (1990). Citons enfin une autobiographie intellectuelle de Gonseth : Mon itinéraire philosophique (1994).

Les deux textes réunis ici, Qu'est-ce que la logique ? (1937), et le chapitre Philosophie mathématique tiré d'un ouvrage collectif, Philosophie – Chronique des années d'après-guerre 1946-1948 (1950), sont intégralement consacrés à la logique et à la philosophie des mathématiques.

[Introduction de Werner Sörensen et François Bonsack]

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Mise à jour : 2009-01-02