La synthèse dialectique au niveau axiomatique | ||||||
5.1 Reprise du problàme de la dialectisationLes matériaux sont à pied d'œuvre, le problème de la dialectisation peut être repris. Rappelons en quelques mots comment celui-ci se présente. Nous exposions au chapitre II les exigences et les conditions de la synthèse des trois aspects au niveau de l'information naturelle. «Le moment est venu, disions-nous, de faire avancer au premier plan l'alternative suivante qui domine cette question : chacun des trois aspects est-il spécifiable jusqu'à l'autonomie, ou bien ne se présente-t-il jamais à l'état pur, appuyé qu'il est sur les deux autres ? »Ces deux éventualités comportent des conséquences très divergentes. Dans le premier cas, il devrait exister trois modes différents et indépendants de faire de la géométrie. Pour traiter le problème qui nous occupe, il suffirait alors de dégager ceux-ci, de manière à conférer à chacun d'eux sa propre et entière spécificité. Dans le second cas, la question ne s'éclaircirait pas aussi simplement; le problème des rapports entre les trois aspects aurait une tout autre portée et ce serait devant lui que nous nous trouverions maintenant placés. »Au niveau de l'information naturelle, où le problème se posait à ce moment-là, l'alternative devait être tranchée en faveur de la seconde éventualité. »Tous les faits que nous pouvons invoquer à ce point de notre étude parlent contre l'espoir de conférer une existence autonome à chacun des trois aspects. »Qu'on se rappelle le procédé décrit pour fabriquer les surfaces planes. Ce procédé ne s'expliquerait pas si l'on ne savait d'ailleurs – c'est-à-dire intuitivement – qu'une surface ne peut être à la fois concave et convexe... »Certes on pourrait se donner l'air d'avoir oublié l'information intuitive et la négliger par la suite. Mais qu'y gagnerait-on ? Le plus simple est de reconnaître qu'il est difficile (et probablement impossible) de tracer une ligne de démarcation bien nette entre l'intuitif et l'expérimental. Ces deux aspects s'interpénétrent... »Les deux aspects ne se confondent certainement pas. Et pourtant, rien ne nous autorise à penser qu'ils puissent être entièrement séparés, que l'un puisse être imaginé sans que nous ayons à chercher aucun appui dans l'autre. L'aspect intuitif est un fait, l'aspect expérimental en est un autre. Mais l'aspect purement expérimental n'est probablement qu'un idéal irréalisable, et l'aspect purement intuitif aussi. »Avons-nous d'autre part des raisons de penser que nous rencontrerons moins de difficultés à définir un aspect purement théorique et que le théorique se séparera franchement de l'empirique (ce dernier comprenant à la fois l'intuitif et l'expérimental) ? Dans les exemples que nous avons traités, l'aspect théorique se développait au moyen de chaînes d'opérations sûres et de jugements certains. Mais où ces opérations mentales avaient-elles pris leur efficacité et ces jugements leur certitude ? Cette efficacité et cette certitude sont précisément les caractères que nous avons reconnus à la connaissance intuitive. En géométrie, le théorique tient partout à l'intuitif. Dans d'autres sciences, le théorique aboutit directement à l'expérimental. Dans d'autres encore, les racines empiriques sont plus cachées. Nulle part, la séparation totale du théorique et de l'empirique n'est un fait accompli... »Ainsi, au niveau de l'information naturelle, la première éventualité est à écarter : l'examen des trois aspects les montre partiellement spécifiés et partiellement interdépendants. Et c'est en face de cette constatation, en l'absence d'une spécification donnée d'avance, ou même seulement possible d'avance, que le problème de l'accord des différentes sources de notre connaissance prend son importance et sa complexité». Ces constatations faites, nous formulions le problème de l'espace et nous énoncions comme suit l'une de ses exigences essentielles : «... une solution normale (du problème de l'espace) doit être une solution techniquement accomplie. Nous voulons dire qu'elle doit comporter la mise à jour et l'installation du jeu dialectique des trois aspects. La solution est ce jeu lui-même, tenant lieu de moyen de connaissance et de régulateur de l'action». Nous avons trop souvent rappelé l'idée dominante de la «solution élémentaire» pour qu'il soit nécessaire de le faire encore une fois. Presque aussitôt, cette solution se trouva d'ailleurs compromise par sa rencontre avec l'horizon atomique. «... L'efficacité d'un jeu dialectique établi peut tenir à un état sommaire de notre information. Celle-ci vient-elle à se préciser : il arrive, et c'est ce qui se passe dans notre cas, que la dialectique ne morde plus sur le réel. En tant que solution du problème de l'espace, notre synthèse dialectique perd son authenticité. »Tout est-il compromis ? Tout est-il à refaire ? Personne ne le croira... »Pour unir les trois aspects dans un nouveau jeu dialectique, il faudra commencer par les disjoindre encore plus complètement. Leur spécification doit être poussée d'un pas plus loin, en particulier celle de l'aspect théorique». C'est à cette dernière tâche que s'est appliqué le chapitre III. L'expérience de l'axiomatisation s'y est déroulée. Nous incite-t-elle à modifier la position générale que nous avions prise en face du problème de la dialectisation ? Nous en aurions l'obligation si, du fait de l'axiomatisation, l'aspect théorique s'était dégagé jusqu'à l'autonomie complète. Est-ce le cas ? Voici quelques-unes des remarques par lesquelles le chapitre III s'achevait : «Certes, en s'axiomatisant, la pensée géométrique a affirmé son caractère théorique. La discipline à laquelle elle s'astreint lui assure une indépendance relative envers les sources intuitives et expérimentales de son information. Plus le jeu axiomatique est strict et plus l'apport de ces sources se trouve surveillé et limité... »Mais la convenance des axiomes reste suspendue à notre vision intuitive de l'espace, que l'expérience quotidienne renouvelle. Mais la dialectique (de la déduction) est toute mélangée (dans une mesure que nous n'avons pas même su complètement apprécier) d'éléments intuitifs relatifs à l'espace, au temps, au nombre, à l'objet, etc. En un mot, par la pratique axiomatique, la pensée rationnelle se spécifie : elle s'épure, elle se réalise mieux dans le sens d'une autonomie voulue et recherchée; mais l'idéal d'une autonomie parfaite, achevée, reste hors d'atteinte». En principe, rien n'est donc changé. La recherche de la synthèse dialectique reste engagée dans la même situation. Le jeu dialectique doit pouvoir s'installer, efficace et précis, sans que les trois partenaires aient encore gagné leur autonomie réciproque, sans qu'il soit permis d'admettre qu'ils la gagneront jamais complètement. Ce point dûment fixé, envisageons en particulier le rapport du théorique à l'expérimental, dont le relâchement, dans l'horizon atomique, est à l'origine de la crise de la première solution. La solution s'est-elle améliorée du fait de l'axiomatisation ? Voici encore, pour en finir avec cette récapitulation préliminaire (préliminaire à la nouvelle dialectisation), les conclusions du chapitre III. «La marche à la spécification a son revers... Dans la mesure même où notre analyse s'achève dans sa perspective théorique, la réalité du monde atomique lui devient étrangère. Un antagonisme surgit ainsi entre deux moments essentiels de la constitution progressive de notre connaissance : celui de la spécification et celui de la fermeture de la synthèse. N'est-ce là qu'un léger accident ?» Au contraire, ajoutions-nous. Pour retrouver les conditions dans lesquelles une nouvelle synthèse dialectique pourra s'établir, il faudra appeler à l'existence une série de notions encore inédites, créer les instruments convenant à un nouveau stade de la connaissance. Ces notions sont maintenant à notre disposition. | ||||||
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