La synthèse dialectique au niveau axiomatique | ||||||
5.2 La nouvelle idée dominante : la correspondance schématiqueLa solution doit consister à montrer comment les trois aspects s'organisent en un système efficace, et spécialement à dégager l'idée directrice de cette organisation. Or, depuis un certain temps, sans que nous l'ayons formulée, cette idée nous accompagne. Elle s'est imposée d'elle-même. Nous l'avons rencontrée à toutes les articulations de la connaissance géométrique. C'est celle de la correspondance schématique. Il suffit de l'admettre comme idée dominante pour que tous les moments de notre expérience spatiale et géométrique se réarticulent, pour que la synthèse se refasse, pour que nous l'apercevions déjà faite. Le travail n'est plus à faire, la mise en place des résultats est d'ores et déjà effectuée. Il ne reste qu'à en prendre conscience. La figure ci-contre nous épargnera de trop longues explications. Les cercles I, E, T et A y représentent les quatre horizons de réalité dont nous avons relevé l'existence : les horizons intuitif, expérimental, théorique (au sens pré-axiomatique) et axiomatique. Le monde réel y est évoqué par le cercle en pointillé R. Le pointillé a pour mission de rappeler que le monde extérieur n'est pas donné tout constitué, qu'il ne l'est, au contraire, que par l'intermédiaire des horizons de réalité représentés par les cercles en trait plein. Le cercle I occupe, dans la figure, une position centrale : cette position privilégiée doit évoquer le rôle central et irréductiblement fondamental que nous avons dû reconnaître à l'intuition. Les cercles E et T sont placés à peu près au même niveau que le cercle I : Nous voulons rappeler par là comment les horizons de réalité correspondants dérivent de l'horizon intuitif, par la mise en action, dans ce dernier horizon, d'une technique adéquate, expérimentale ou mentale. La position du cercle A doit enfin permettre de le mettre en rapport à la fois et de façon assez visiblement analogue, avec les trois cercles précédents, illustrant de cette façon le rôle que joue l'horizon axiomatique envers les trois autres horizons de réalité. Ce rôle est la clé de tout le système. On s'en souvient, l'axiomatisation de la géométrie s'est tout d'abord présentée comme une reprise rationnelle du contenu de l'intuition spatiale. A s'est constitué en un schéma dont l'aspect intuitif incorporait la première signification extérieure. Dans notre figure, la flèche 2 représente donc la correspondance schématique par laquelle A et I se rattachent l'un à l'autre. Cette correspondance est l'axe de toute l'organisation. Mais il peut arriver, nous le savons, qu'un schéma admette plus d'une signification extérieure. C'est précisément le cas de A. En examinant les relations qui s'établissent entre T et A d'une part, E et A d'autre part, nous avons pu reconnaître qu'elles présentent aussi les caractères d'une correspondance schématique. C'est là ce que les flèches 8 et 9 doivent signifier. Trois correspondances schématiques convergent donc sur A. Ainsi, l'horizon axiomatique assume par rapport aux horizons I, E et T le rôle de schéma révélateur d'une analogie. A est l'élément de liaison par excellence. C'est par son intermédiaire que se précise la nature des liaisons existant entre les trois aspects. Par son existence, A témoigne d'abord de l'existence de ces liaisons; par sa structure propre, il en délimite la contexture et la portée. Les flèches 7, 5 et 6 représentent la triple analogie dont A manifeste la structure commune. Au moment où le rôle de l'axiomatisation nous semblait consister à abstraire un schéma déductif d'une signification extérieure, nous parlions d'axiomatisation schématisante. Il se révèle maintenant que la constitution de l'horizon axiomatique doit encore être envisagée sous un angle tout différent : Au niveau de l'information naturelle, I était le centre de toute l'organisation géométrique. Au niveau que nous avons maintenant rejoint, A vient doubler I dans son rôle organisateur. On peut maintenant laisser tomber l'idée dominante de l'équivalence (de vérité) des trois aspects, tout le système n'en reste pas moins cohérent et structuré par l'intermédiaire de A. La constitution de l'horizon axiomatique est le moment décisif de la mise en rapport des trois aspects, le moment décisif de la synthèse dialectique. L'idée d'analogie ne rend cependant pas complètement compte des rapports (tels que nous les avons déjà aperçus) entre l'intuitif et l'expérimental et entre l'intuitif et le théorique. Il suffit, pensons-nous, d'en faire la remarque, la chose ayant été suffisamment étudiée. Les flèches 1, 3 et 4, enfin, évoquent les rapports des horizons I, E et T avec leur signification extérieure ou antérieure commune. Elles représentent donc, elles aussi, trois correspondances schématiques. Au niveau de la première synthèse dialectique, trois flèches analogues auraient évoqué trois formes d'adéquation à la réalité – à une réalité préexistante. À ce niveau, les édifications schématiques correspondantes sont constitutives des trois horizons de réalité. Le caractère schématique de ces trois formes d'adéquation n'est mis en évidence que par le progrès de la connaissance du réel, par le passage à une connaissance plus finement détaillée. Envisageons maintenant la figure ci-dessus dans son ensemble. Elle évoque et suggère un jeu cohérent de tous les éléments qui y sont représentés. Nous le voyons maintenant clairement, dans toutes ses parties et dans toutes ses péripéties, ce jeu est dominé par l'idée informatrice et directrice de correspondance schématique. En un mot, l'idée trop sommaire de l'adéquation qui informait la première synthèse dialectique peut être abandonnée et remplacée par l'idée de correspondance schématique dans laquelle se reflète une connaissance elle-même plus détaillée des formes possibles de l'adéquation. L'idée de correspondance schématique peut être promue au rang d'idée dominante de la synthèse dialectique sans que la cohérence de celle-ci ait à en souffrir. La discussion de notre problème pourrait être interrompue ici : Nous venons d'atteindre le but que nous nous étions proposé dès que nous eûmes aperçu que la première solution reste liée au niveau de la connaissance naturelle et que sa validité ne se reporte pas telle quelle sur un horizon moins sommairement dessiné. Toute solution du problème de l'espace, disions-nous, doit être une solution active. Ce qui la constitue, c'est le jeu même des trois aspects. La solution mieux étudiée vers laquelle nous tendons dès la fin du chapitre II, nous venons de la proposer, en installant dans ses grandes lignes la synthèse dialectique dominée par l'idée de la correspondance schématique. La nouvelle solution, ce n'est pas autre chose que ce jeu dialectique mieux informé. Cette nouvelle solution, demandera-t-on, assure-t-elle une base meilleure à la mise en œuvre de notre connaissance spatiale ? La nouvelle solution va-t-elle inaugurer une nouvelle pratique, une pratique mieux fondée et de plus grande efficacité ? Répétons-le – car c'était là le sens de certaines des remarques qui suivirent l'exposé de la première solution : là n'est pas le problème. Certes, la méthode axiomatique inaugure une pratique plus sûre, spécialement en ce qui concerne les rapports de l'intuitif et du déductif. Mais ce progrès, si considérable soit-il, ne modifie pas essentiellement la situation pour ce qui concerne la pratique (d'ores et déjà établie) de la collaboration des trois aspects. L'efficacité n'en a jamais été compromise, dans le large cadre où elle s'était éprouvée. Ce qui s'était obscurci, c'était la nette vision du jeu dialectique et la compréhension de son succès. Le problème était, la pratique restant efficace, de lui recréer une légitimité théorique, de lui refaire son intelligibilité. Il n'en est pas autrement de toute démarche théorique : l'explication théorique d'un fait confère à ce dernier une certaine garantie rationnelle qu'il ne possédait pas encore. – Et quant à la théorie elle-même, quel en est le garant ? C'est sa convenance, ce dernier mot devant être parfois pris dans un sens très strict et d'autres fois dans un sens beaucoup plus large. Ici, le fait à expliquer, c'est l'existence des trois aspects et la possibilité de les mettre en rapport. Toute explication suffisamment ample de ce fait représente une théorie de l'espace. La première synthèse dialectique n'était ni plus ni moins qu'une première théorie de ce genre. Sa convenance ne fut que relative au niveau d'information où elle fut d'abord imaginée. Un supplément d'information en exigea la révision : c'est maintenant chose faite. Et quelle est la garantie de la théorie révisée ? Nous ne pouvons que répéter ce que nous venons de dire : c'est sa convenance, le mot prenant ici un sens très large. C'est dans une trame extrêmement complexe et serrée d'explications et de confrontations qu'elle s'éprouve. Son idonéité ne lui était pas acquise d'avance. Elle l'acquiert en la méritant. | ||||||
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