Le modèle et l'analogie

Le modèle

4.2 Deuxième exemple : le modèle et le formel

Nous avons voulu souligner, dans notre premier exemple de modèle, l'intention de s'appuyer sur une illustration concrète des circonstances à étudier. Dans cet exemple, le modèle prend ses éléments dans le monde des réalités les plus simples. C'est d'ailleurs pourquoi nous aurions pu l'appeler un modèle par réalisation. Mais l'idée de modèle ne comporte pas nécessairement, nous l'avons déjà dit, une chute aussi marquée d'un schématisé vers un réalisé. Dans l'exemple suivant, nous nous proposons de faire ressortir l'aspect conventionnel que la «réalité» du modèle peut parfois revêtir.

Il s'agira de la représentation de la suite des nombres entiers, par leurs signes numériques dans la numération décimale :

(1) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,.., 100, 101, 102,...

Ces signes nous sont si familiers que nous oublions facilement jusqu'à quel point ils sont conventionnels. Aussi n'est-il peut-être pas complètement superflu de rappeler pour commencer qu'il reste, dans le langage et dans certains usages, des traces de l'emploi plus ou moins systématique d'autres systèmes de numération, et que le système dual peut prendre dans certaines conditions une signification privilégiée.

On pourrait même se servir (et la proposition en a été faite dans certaines recherches sur les fondements de l'arithmétique) de représentations très primitives, comme celle dont voici les premiers termes :

I, II, III, IIII, IIIII,.....

Notre intention est d'examiner spécialement le modèle de la suite des nombres que fournit la numération décimale. Mais le système précédent, dans lequel chaque nombre se trouve représenté par un groupe convenable de traits verticaux, mérite qu'on s'y arrête un instant.

Remarquons tout d'abord que, dans cette représentation, le signe d'un nombre est un modèle par réalisation, au sens même qui vient d'être précisé. Il est naturellement facile d'imaginer un maniement de ces signes par lequel les opérations élémentaires de l'arithmétique se trouveraient réalisées.

L'égalité de deux nombres, par exemple, pourrait être constatée par le procédé d'identification suivant qui ne fait intervenir que la pratique «de l'un contre un». Les deux groupes de traits représentant les deux nombres à comparer étant proposés, on commencerait par barrer d'un trait horizontal le premier trait vertical de chacun des deux groupes. On en ferait ensuite de même pour le trait suivant, et ainsi de suite. Si ce procédé n'aboutit pas à constater l'égalité des deux nombres, il décide naturellement lequel est le plus grand.

L'addition des deux nombres se réaliserait par la mise bout à bout des signes correspondants. Et l'on distingue facilement par quelles pratiques élémentaires du même genre les autres opérations arithmétiques pourraient être effectuées.

L'ensemble de ces signes et de ces pratiques est un modèle de l'arithmétique élémentaire.

Est-ce strictement un modèle par réalisation ?

Remarquons que les pratiques par lesquelles les opérations arithmétiques se trouvent traduites pourraient être codifiées en règles autonomes et ne contenant plus aucune allusion à leur origine et à leur signification arithmétique. Ce seraient alors de pures règles de jeu. Elles revêtiraient un caractère conventionnel évident.

Ce modèle réalise assez purement l'intention formalisatrice qui est de remplacer un certain ensemble de démarches abstraites (ou insuffisamment dominées) par un ensemble bien codifié de pratiques sur des symboles.

Revenons maintenant au système de numération décimal. Non pas qu'il apporte, quant à l'idée du modèle formalisateur, quelque chose de fondamentalement nouveau. Mais il permet de mieux faire ressortir la part de convention qui entre dans l'a facture du modèle.

Les neuf premiers chiffres sont des symboles arbitraires, des figures entièrement conventionnelles. Il en est de même du zéro. L'écriture des autres chiffres à l'aide uniquement des neuf premiers et du zéro n'est pas totalement conventionnelle, elle incorpore une véritable invention mathématique. Le procédé selon lequel les nombres peuvent être écrits successivement, d'après ce système de numération, peut être cependant expliqué comme un jeu sans signification arithmétique prédéterminée. Nous avons ainsi dans la suite des signes numériques (1) un modèle de la suite des nombres entiers dans lequel le caractère conventionnel est beaucoup plus apparent que dans le modèle de tout à l'heure.

Nous n'allons pas rappeler ici comment les opérations arithmétiques élémentaires s'effectuent (toujours en numération décimale). Tout le monde le sait. Insistons cependant encore une fois sur le fait que toutes ces opérations peuvent être décrites, elles aussi, comme un jeu à pratiquer sur les signes numériques, comme un jeu qui ne réclame aucune connaissance arithmétique spéciale, même du degré le plus élémentaire, une fois données les tables d'addition et de multiplication des chiffres de base.

C'est d'ailleurs ainsi que les opérations arithmétiques sont enseignées aux enfants. À l'âge où l'esprit de l'enfant est mûr pour un enseignement de ce genre, il ne l'est pas encore pour une justification explicative. Ce seul fait jette un jour très vif sur la fonction du modèle.

Ce sont les mêmes raisons qui font de tout système numérique semblable à ceux que nous venons d'indiquer un modèle formalisateur de la suite des entiers.

Ces quelques remarques doivent faire comprendre que le problème de la formalisation est étroitement lié aux idées de schéma et de modèle. Mais ce n'est ici ni l'endroit ni le moment de nous engager davantage dans cette voie.

Nous nous contenterons aussi de mentionner le modèle algébrique de la géométrie que réalise la géométrie analytique.

Merci de votre intérêt
 
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Mise à jour : 2009-01-02