Le modèle et l'analogie

Le modèle

4.3 Troisième exemple : le modèle par transcription

Dans l'exemple suivant, nous allons voir s'affaiblir jusqu'à disparaître l'intention d'aller chercher appui dans du «plus concret», dans du «mieux en main», ou dans du «mieux connu», intention que nous avons présentée comme caractéristique. Nous la retrouverons cependant après coup.

Figure 1Il s'agit de la transcription bien connue de la géométrie élémentaire qu'on obtient en faisant subir une transformation par inversion aux éléments et aux figures de la géométrie plane.

Soit O le centre d'inversion. On sait que cette transformation fait correspondre à tout point P un point P' situé sur le rayon OP et tel que le produit des rayons vecteurs OP.OP' soit égal au carré du rayon du cercle d'inversion.

Une droite quelconque d se transforme en un cercle d' passant par le centre d'inversion et réciproquement.

À deux droites parallèles correspondent deux cercles tangents en O, et n'ayant par conséquent aucun autre point d'intersection. Leur tangente commune en O est d'ailleurs parallèle aux deux droites en question.

Deux droites se coupant en un point P sont transformées en deux cercles passant par O et se coupant en un second point P'. La transformation par inversion est conforme, cela veut dire que l'angle des deux droites concourantes se retrouve égal à lui-même dans l'angle des deux cercles correspondants. Le sens de rotation n'est, il est vrai, pas conservé, mais renversé.

Figure 2Soit enfin p la distance entre deux points A et B. La transformation place les points correspondants A' et B' sur un cercle passant par le centre d'inversion O. Dans la figure transformée, la distance p peut être, elle aussi, retrouvée. Exprimée à l'aide des éléments de la seconde figure, elle vaut

AB = cotg arc(B'O)/2 − cotg arc(A'O)/2.

L'un après l'autre, tous les éléments de la géométrie plane pourraient être ainsi transformés. Pour ce que nous avons en vue, ce qui vient d'être indiqué suffira.

Voici maintenant le procédé par lequel on peut faire de la seconde figure, de la figure transformée, un modèle de la figure originale : une droite d, avons-nous dit, se transforme en un cercle d'. Convenons de remplacer partout où elle se présentera la dénomination «cercle passant par O», par la dénomination «droite» de l'élément qui lui a donné naissance. Appelons «angle» de deux de ces «droites», l'angle que forme, pour un œil ordinaire, l'angle des cercles correspondants. Convenons en outre de dire que nous tournons à droite (encore une fois dans la figure transformée) chaque fois que nous tournerons à gauche, et appelons systématiquement «distance» des points A' et B', l'expression dont nous venons de préciser qu'elle est égale à la distance des points A et B, etc...

Le procédé, on le voit, est extrêmement simple. Il a même l'air de n'être qu'un jeu sans valeur et sans portée. Il consiste à transférer de l'élément primitif à l'élément transformé la dénomination habituellement attribuée au premier.

En même temps qu'un procédé de transcription des dénominations, nous engendrons aussi un procédé de traduction systématique des énoncés géométriques.

Ainsi, l'énoncé suivant :

Par un point, il ne passe qu'un cercle touchant un autre cercle donné en un point donné O

correspond évidemment, une fois la substitution des dénominations effectuée, et si O est le centre d'inversion, à l'axiome des parallèles.

Enfin, en même temps qu'une traduction des énoncés géométriques, nous opérons une projection de la structure déductive de la géométrie dans le plan originel sur l'ensemble des énoncés correspondants.

Résumant tout le procédé en un seul mot, on dit qu'on a construit avec les éléments de la géométrie euclidienne un modèle de cette géométrie.

Il est clair que dans cette conception du modèle, l'intention que nous avions présentée comme caractéristique se trouve affaiblie de façon décisive : nous ne réalisons pas un modèle de la géométrie euclidienne par du «plus concret», puisque le modèle est lui-même construit avec des éléments pris dans la géométrie euclidienne, puisqu'il est lui-même un modèle euclidien de la géométrie euclidienne; nous ne réalisons pas non plus un modèle plus maniable, car la nouvelle signification de la distance, pour ne citer que cet exemple, est loin d'être plus commode que la notion ordinaire de distance, nous ne réalisons pas davantage notre modèle par du mieux connu, car l'aspect que prend dans notre modèle la structure logique des théorèmes ne nous était guère donné d'avance, avant d'avoir été manifesté par notre procédé systématique de traduction. Il semble donc que le modèle présenté dans ce dernier exemple prenne assez exactement le contre-pied de ce que nous avions tout d'abord expliqué.

Et pourtant, ce dernier exemple vient reprendre assez naturellement sa place à côté des précédents si l'on ne se borne pas à mettre l'original et la transcription en présence l'un de l'autre. En nommant du même nom l'élément primitif et l'élément transformé, on provoque tout naturellement un effort d'abstraction qui, pour identifier les deux éléments, les dépouille l'un et l'autre d'une partie de leur signification habituelle. Cet effort et son aboutissement nous sont maintenant familiers. Ce sont précisément eux que nous avons étudiés et décrits en montrant comment l'axiomatisation schématisante fait passer de l'horizon intuitif à l'horizon axiomatique, en vidant les notions géométriques élémentaires d'une bonne part de leur substance intuitive. La mise en parallèle de la géométrie euclidienne et de sa traduction a pour effet de profiler derrière les deux à la fois le schéma de leur structure commune. Par rapport à ce dernier, aussi bien l'original que la traduction et la traduction tout autant que l'original se trouvent jouer le rôle de modèle au sens que nous avions indiqué précédemment.

Il n'est donc pas illégitime de conserver le mot de modèle pour désigner, dans cette configuration triangulaire, celui des systèmes déductifs qui a servi de réactif pour précipiter la constitution du schéma.

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Mise à jour : 2009-01-02