L'axiomatisation schématique

2.4 L'horizon de la dialectique de la déduction

La difficulté va maintenant se dénouer de façon toute naturelle, et peut-être trouvera-t-on que le détour assez long que nous venons de faire n'était pas absolument nécessaire. Mais si nous n'avions pas pris la peine de le faire, peut-être ne saurions-nous pas apprécier la «solution» à sa juste valeur.

Supposons que, dans les énoncés I3 et I3', la forme vide «point» reçoive la signification «objet quelconque pris dans une première catégorie», la forme vide «droite» la signification «objet quelconque pris dans une seconde catégorie» et qu'enfin l'on substitue à «passer par» une relation quelconque pouvant s'établir entre certains objets de la première catégorie et certains objets de la seconde : Quelle que soit la nature des objets et de la relation envisagée, les énoncés I3 et I3' restent dialectiquement incompatibles. Cette simple expérience est décisive. On pourrait la répéter en variant les notions fondamentales et les énoncés; le résultat resterait le même : les démarches de la dialectique ne tiennent jamais à la nature particulière des «objets» à propos desquels elles ont lieu.

Cette observation tempère considérablement la violence des expressions telles que «vider un mot de sa signification primitive» ou «renoncer au contenu intuitif d'une notion». Lorsque nous prétendons renoncer à nous servir de l'idée de point, par exemple, «telle qu'elle est dans notre intuition», nous ne renonçons pas à toutes les attaches de cette notion avec l'horizon de réalité où elle a pris naissance. Nous ne renonçons pas à considérer un point comme une chose ayant sa façon propre d'exister. Un point ne cesse pas d'être un objet – même si c'est un objet de la pensée – ayant existence et individualité. Même lorsque nous prétendons renoncer à la forme que l'idée de droite évoque dans notre esprit, nous n'effaçons pas tout de l'image que nous portons en nous. Les points et les droites ne cessent pas d'être envisagés comme des choses, au sens le plus ordinaire, le plus intuitif du mot «chose». Mais ce sont des choses dont les caractères distinctifs, les caractères qui leur sont particuliers, n'auront plus à intervenir. Une droite, par exemple, n'est plus qu'un individu d'une certaine catégorie qu'il suffira de désigner sans avoir à le décrire, à spécifier. Pour le distinguer des individus appartenant à d'autres catégories, tels que les segments ou les angles (qui devront être également et semblablement «dépouillés» de leurs caractères intuitifs), il suffira d'attacher à chacune de ces catégories une désignation choisie en toute liberté. On dira, par exemple, que les points forment une première catégorie, les droites une seconde, les angles une troisième, etc.; ou bien on dira la catégorie A, la catégorie B, la catégorie C, etc.; ou bien encore on désignera toujours et exclusivement les points par des majuscules; les droites par des minuscules; les angles par des lettres de l'alphabet grec, et ainsi de suite.

Dans ces conditions, il n'est pas absurde de parler de «deux points» ou d'«une droite seulement». Il y a exactement autant de sens à dire «deux points» qu'à dire «deux exemplaires d'une première catégorie»; autant de sens à dire «une droite seulement» qu'à dire «un exemplaire seulement d'une seconde catégorie» – lorsqu'on sait par ailleurs qu'il ne sera jamais exigé de s'en référer aux «caractères naturels» des objets en question.

Et quant au verbe «passer par», il ne cesse pas de désigner une relation entre certaines choses (une relation entre certains individus de la première catégorie et certains individus de la seconde); mais c'est une relation dont la nature reste indéterminée, dont la façon d'être originelle peut rester ignorée parce que le raisonnement déductif saura désormais s'en passer.

Tout compte fait, il est donc inexact de dire que la dialectique opère sur des mots vides de sens. Il faut dire plutôt que le sens des mots est réduit à la fonction de dénommer un certain nombre de catégories de choses ou un certain nombre de relations de catégorie à catégorie.

En fin de compte, voici comment se présente l'édification de notre système axiomatique.

À l'aide d'éléments choisis dans notre matériel intuitif, nous commençons par construire la base axiomatique. Celle-ci est formée d'un certain nombre d'énoncés relatifs à certaines relations que nous avons spécialement distinguées entre les éléments précédemment choisis.

Cela fait, nous faisons appel à une technique mentale et verbale ayant pour but de former de nouveaux énoncés à partir des axiomes. Mais cette technique n'opérera pas sur la base axiomatique telle qu'elle vient d'être séparée du contenu intégral de l'intuition. Pour être adaptée aux moyens que la technique va être capable de mettre en œuvre, la base axiomatique doit être remaniée. Il faut superposer à la connaissance que nous en avons, une image simplifiée, une image qui porte le sceau de notre volonté de schématisation.

Cette matière axiomatique ainsi expurgée de sa signification géométrique (au sens ordinaire) est alors prête à être soumise à l'activité organisatrice et créatrice de la dialectique.

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Mise à jour : 2009-01-02