L'axiomatisation schématique | ||||||
2.2 L'horizon littéralPour y voir plus clair, nous allons essayer de prendre les choses par un autre bout, en quelque sorte par le bout opposé. Cela nous fera faire un assez long détour. Mais nous y verrons plus clair ensuite. Essayons tout d'abord d'imaginer que les mots avec lesquels la base axiomatique est verbalement constituée n'aient aucune espèce de signification. Va-t-il nous rester quoi que ce soit qui offre encore prise à la déduction ? Ou ne serons-nous pas plutôt obligés, pour que le travail déductif puisse prendre son départ, de réinsuffler aux mots une signification conforme au bon sens et, aussi, conforme à notre connaissance intuitive des réalités «extérieures» ? Dans ce dernier cas, jusqu'à quel point nous faudra-t-il revenir sur nos pas ? Nous sera-t-il possible de nous arrêter à un état intermédiaire entre l'absence totale de signification et le sens originel plein ? Ces questions jalonnent un programme que nous allons tenter de remplir. Conformément à ce plan, commençons donc par interpréter les phrases dont la base axiomatique se compose dans un horizon de réalité extrêmement réduit qu'on pourrait nommer un horizon alphabétique. Les réalités qui s'y présentent sont constituées par un certain nombre de signes d'écriture et par certains assemblages de ces signes, les apparences reconnaissables (c'est-à-dire la conformité à un certain ensemble de modèles) devant seules compter. Dans cet horizon, le mot «point», par exemple, n'a pas d'autre réalité que d'être constitué par la succession des cinq lettres p, o, i, n, t – et nous statuons qu'il en est de même non seulement de tout autre mot désignant une notion primitive de l'axiomatique, mais aussi des mots ordinaires du langage tels que «deux» ou «toujours». Les axiomes, eux aussi, n'ont plus d'autre réalité que l'apparence qu'ils nous offrent en tant que succession de signes littéraux dans un ordre déterminé. Ils ne conservent que la réalité qu'ils pourraient revêtir pour un typographe capable de distinguer les signes de l'écriture et capable de les assembler correctement, mais incapable non seulement de savoir ce que les mots et les phrases veulent dire (ce qui pourrait lui arriver s'il composait un texte dans une langue qui lui fût étrangère), mais encore ignorant du fait que tel assemblage de lettres est un mot d'une certaine langue, et telle configuration une phrase. Est-il possible de mettre en rapport cet horizon alphabétique (et la réalité que la base axiomatique y prend maintenant) avec l'horizon de réalité intuitif où la signification primitive des axiomes est fondée ? Nous pouvons en faire l'essai. Mais ne nous attendons pas à pouvoir le pousser bien loin. Convenons donc que la base axiomatique, dans son objectivité alphabétique, ait pour mission de représenter, d'une façon ou d'une autre, la base axiomatique revêtue de sa réalité intuitive. Peut-il être question d'une représentation fidèle ? Le mot «droite», par exemple, ne rappelle en rien, par sa forme imprimée, l'idée d'une droite géométrique, l'idée de la forme rectiligne, – ou, du moins, il ne la rappelle pas mieux que tout autre mot imprimé. Si l'on ajoute qu'en allemand, c'est le mot Gerade qui rend les mêmes services, aucun doute ne resterait possible si nous en avions jamais eu : le mot «droite» dans sa réalité alphabétique ne peut être qu'un signe représentatif; il ne saurait être plus qu'un symbole choisi arbitrairement. Il en serait de même, naturellement, pour tous les autres mots désignant une notion fondamentale. Ce serait aussi le cas, par exemple, pour les interventions du verbe «passer par». On pourrait peut-être se dispenser de considérer tous les mots de la langue ordinaire comme autant de symboles individuels, mais chaque axiome (dans son apparence alphabétique) aurait du moins à être pris comme un signe (et rien de plus) de ce qu'il signifiait antérieurement. La base axiomatique tout entière ne serait plus alors, elle aussi, qu'un signe très complexe fabriqué de toutes pièces avec les réalités élémentaires du monde alphabétique. Ce signe peut-il donner prise à nos intentions axiomatiques ? La dialectique déductive peut-elle aller s'ancrer dans cet horizon de «pures apparences littérales» ? La déduction, telle que nous l'avons pratiquée, se contente-t-elle vraiment de n'attribuer aux mots que la réalité qu'ils pourraient garder pour quelqu'un qui ne connaîtrait rigoureusement rien de la langue que nous parlons ici ? Cette dernière question fait éclater l'insuffisance du point de vue absurdement formaliste et superficiel auquel l'horizon alphabétique répond. Si nous devions en rester là, la configuration très complexe que formerait la base axiomatique dans son ensemble ne serait pas même un symbole, car il est dans la fonction du symbole de servir à quelque chose, tandis que le signe littéral dont nous parlons ne servirait exactement à rien. Il resterait strictement inutilisable, car il n'y a aucun rapport entre l'horizon alphabétique que nous venons d'imaginer et la dialectique déductive dont nous nous sommes déjà servis. Pour procurer à cette dernière ses points d'appui et ses points d'attaque, nous serons obligés de réintégrer les axiomes (et naturellement aussi les énoncés déduits) dans une partie au moins de leur signification intuitive. Mais où sera-t-il possible de s'arrêter, dans ce rétablissement du sens primitif ? Seules les exigences de la dialectique peuvent en décider, c'est le seul critère dont nous disposons. | ||||||
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