La systémique : symposium écrit

La systémique se présente volontiers comme une pensée scientifique nouvelle, si ce n'est comme une pensée nouvelle tout court; en ce sens, elle se place volontiers en opposition aux sciences classiques, auxquelles elle reproche un réductionnisme excessif qui les rend, selon certains de ses adeptes, fondamentalement incapables d'appréhender certaines finesses du réel.

Le but de ce symposium est d'essayer de déterminer dans quelle mesure le mouvement systémique appelle une forme de connaissance radicalement nouvelle par rapport à l'épistémologie classique. Il s'agit donc d'étudier les questions : quelles sont les formes de la connaissance, à quoi la connaissance peut-elle prétendre, qu'est-ce que la connaissance, à travers divers domaines dans lesquels la connaissance, scientifique ou non, est susceptible d'avoir été remise en question jusque dans sa forme par les visées systémistes.

Bien sûr, la systémique étant sinon indéfinissable, du moins actuellement très mal définie, il est nécessaire que ceux qui désirent se lancer dans le débat se situent par rapport à ce mouvement, qu'ils essaient d'indiquer ce qu'ils y trouvent et dans quelle mesure ils s'en réclament ou s'y opposent.

L'objectif de ce symposium n'est pas, comme à l'ordinaire, cantonné à un domaine donné; il est de traiter un même thème à travers plusieurs domaines. L'unité du débat n'est donc pas à rechercher dans celle du domaine recouvert, mais dans celle de la question épistémologique au-delà des multiples facettes que cette question peut prendre dans les divers domaines de connaissance.

Il n'y a donc pas à craindre d'être hors du sujet en apportant une contribution touchant un domaine qui n'a pas encore été abordé, pouvu que ce soit la forme que prend la connaissance elle-même dans ce domaine qui soit traitée.

Ce débat s'incrit donc dans la perspective de l'étude du statut de la connaissance; suite logique de la démarche cartésienne, cette perspective s'est esquissée dans le courant du siècle dernier sous l'impulsion de philosophes tels que C.S. Peirce, A. Comte, E. Mach; ce mouvement s'est ensuite amplifié jusqu'à révolutionner la philosophie dans le premier quart de ce siècle sous l'impulsion notamment du Cercle de Vienne (R. Carnap, H. Hahn, O. Neurath, L. Wittgenstein, etc.), mais aussi de K. Popper, F. Gonseth, soit de tous ceux qui, en s'interrogeant sur les attributs de la connaissance, ont participé à l'élaboration de ce qui est devenu la philosophie des sciences. Ce débat est loin d'être clos; les questions soulevées reviennent régulièrement à la surface de l'actualité, comme en témoigne la récente discussion qui a eu lieu sur ce sujet à l'Académie des Sciences de Paris, rendue publique par son secrétaire perpétuel, Jean Hamburger (La Philosophie des Sciences aujourd'hui, Gauthier-Villars, Paris, 1986). La question que nous essaierons de développer consiste donc à nous demander si et dans quelle mesure l'avènement de la systémique représente une nouvelle péripétie de cette controverse.

Les symposiums écrits voudraient être une formule intermédiaire entre l'entretien oral et le texte imprimé. Il ne s'agit pas d'écrire pour l'éternité, mais d'échanger en toute liberté des idées, quelquefois pas encore bien mûres ni bien élaborées. C'est en quelque sorte de la littérature à jeter, des brouillons qu'on pourra toujours amender à la livraison suivante et tout auteur peut demander que son texte ne soit pas cité sous cette forme provisoire.

D'autre part, nous ne voudrions pas en faire un succédané de revue, présentant des textes juxtaposés, sans lien entre eux. Nous souhaitons que s'instaure un véritable dialogue et invitons le lecteur à participer activement au débat. Toute intervention devrait susciter des critiques amicales et constructives, des compléments, des questions, des réponses, des remarques même brèves. Il faudrait essayer de faire mieux en commun que nous n'aurions pu faire seuls, de nous stimuler, nous féconder mutuellement par des critiques et des suggestions.

Nicolas Peguiron (1989)

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