Diogène se promène en plein midi, dans les rues d'Athènes, une lanterne
allumée à la main. Aux passants intrigués, il déclare qu'il cherche un
homme.
Les braves gens s'offusquent. Pour qui les prend-on ?
Cette conduite de Diogène, paroles incluses, peut nous alerter. Sommes-nous
absolument sûrs de remplir les conditions essentielles pour être un homme ?
Nous croyons en être un, comme s'il s'agissait d'un fait établi. La lanterne de
Diogène dérange cette conviction communément répandue. Elle nous provoque à ne
pas nous satisfaire du moule qui façonne ce que nous appelons un homme. Nous
nous abritons volontiers dans un ensemble de références toutes tracées. Nous
savons, dès lors, ce qui se fait ou ne se fait pas. Un cadre prédigéré d'usages
nous dispense de réfléchir par nous-mêmes. Tout se passe en vertu de règles
déterminées, sans que personne n'y soit vraiment pour quelque
chose.
La conduite de Diogène choque ce monde d'opinions toutes faites. Elle
perturbe les vues rassurantes de chacun sur ce qu'il entend par être un homme.
Elle sème le trouble sur le territoire neutre du «chacun-pour-soi», qui enferme
l'individu loin de tout engagement personnel. Elle révèle que chacun ressemble
à tout le monde, mal pris qu'il est dans son choix sécuritaire, très
conformiste.
Nous vivons dans une si grande indifférence mutuelle que bien trop
fréquemment nous ne nous sentons pas responsables d'autrui.
[Extrait de l'introduction]