Livres écrits par des membres de l'Association F. Gonseth

Pierre-Marie Pouget : Socrate en religion

Éditions de l'Aire, Vevey (1996).

Les valaisans ont une certaine prédilection pour donner à leurs fils les noms des saints patriarches de l'Ancien Testament : Abram, Abraham, Isaac... Comment dire Abraham sans évoquer le père des croyants ? L'usage de ces noms est à lui seul une prière.

Mon père, notaire de son état, aimait la littérature de la Grèce antique, notamment les Dialogues de Platon. Sa culture lui accordait du recul envers toutes choses, y compris le clergé. Il avait proposé à ma mère de m'appeler Socrate, comme s'il lui eût suggéré un nom pieux, tiré de la Bible. Elle avait trouvé le vocable à son goût; elle l'adopta. Le curé Joseph ne protesta guère. Il me baptisa, un dimanche de février : «Socrate, je te baptise...».

À la maison, dans la rue, à l'école, l'on prononçait Socrate sur les mêmes tons que Daniel ou Jacques. J'étais cependant seul de ce nom; en outre, il n'apparaissait jamais lors des lectures de l'Histoire sainte. Je finis par soupçonner quelque chose et m'en ouvris à mon père. Avec son sourire ironique, il m'expliqua le plus calmement du monde que Socrate était à la source de la philosophie grecque, qu'il avait possédé, à un degré rare, l'art de poser les bonnes questions. J'en fus illuminé. Il me sembla tout à coup que je ne pourrais grandir sous ce nom en n'ayant pas en moi la qualité socratique.

L'enthousiasme me gagna pour l'art de poser les bonnes questions. J'avais dix ans. Socrate surgissait en mon âme et conscience. Il me façonnait de l'intérieur, à mon insu, depuis longtemps déjà. En effet, je questionnais à longueur de journée. Non seulement cela fatiguait mon entourage, mais le jetait souvent dans l'embarras. Le curé Joseph me comparait aux Sphynx; il m'affubla de ce sobriquet. Il s'efforçait néanmoins de répondre à mes énigmes. Je lui en étais profondément reconnaissant. Mes copains me traitaient de Sphynx seulement lorsque nous nous disputions. L'injure faisait long feu. Elle m'amusait au lieu de me blesser.

[Extrait]

Merci de votre intérêt
 
Valid CSS! Valid XHTML 1.1! Conception et réalisation : AFG/N. Peguiron
Mise à jour : 2009-01-02