À quoi bon étudier le questionnement de Heidegger, qui ne s'attache pas aux
vogues et vagues du présent ? Quelle est l'actualité de la question de l'être
en notre monde branché sur les réseaux de la télécommunication ?
Les écrits d'un penseur se jugent à l'aune des perspectives qu'ils nous
ouvrent sur ce que nous sommes et devenons. L'actualité s'éclaire par le recul
dans un jeu complexe de possibilités latentes dont elle est une manifestation.
La question de l'être nous ramène à ces points décisifs où certaines
orientations de la pensée et de l'existence humaines l'emportent sur d'autres,
non par nécessité déterministe, mais par une conjonction d'opportunités qui
peut, le temps aidant, se renforcer et se déployer jusqu'en ses ultimes
potentialités.
La question de l'être décèle comment la préoccupation de penser que seul
«quelque chose» est se consolide dans la recherche de la détermination du
«quelque chose» : les choses sont en principe compréhensibles; leur totalité ne
peut que former un ensemble explicable, le monde. L'on s'applique, des Grecs à
nos savants contemporains, à établir les causes, les raisons, les lois dont les
choses relèvent. Ce faisant, l'on ne s'aperçoit généralement pas que l'être des
choses se perd dans l'oubli.
La démarche de Heidegger fait ressortir l'oubli qui se masque lui-même (oubli
de l'oubli) à travers le succès des techno-sciences. Mais l'on commence à
sentir qu'au milieu de toute cette rigueur dont nous sommes capables, nous avons
obnubilé le sens des choses et de notre vie qui séjourne auprès d'elles.
Comment penser un naturel de la nature plus secret que nos lois
scientifiques, afin d'habiter sur terre et sous le ciel, d'assumer notre
finitude ?
Mon approche de Heidegger consiste à parvenir à la question d'un
réinvestissement de nos savoirs et pouvoirs dans une parole susceptible de nous
mettre en chemin, de nous frayer un sens pertinent, digne d'être interrogé et
médité.
[Pierre-Marie Pouget]