Pendant une très longue période, à partir de l'antiquité jusqu'au XIXe siècle, les grands esprits créateurs étaient parvenus
à saisir et à harmoniser dans un «tout» (unitaire) les connaissances fondamentales des sciences de la nature sous une
perspective philosophique, universelle.
Passé cette période, sous la pression de l'avalanche torrentielle des faits fournis par la science, la Philosophie naturelle
d'autrefois se désagrégea de façon toujours plus évidente dans ses composantes : «Si au XIXe siècle le titre de philosophe
faisait croître le prestige des chimistes d'avant Lavoisier et des mathématiciens d'avant Legendre, les choses changent vers
la fin du XIXe siècle. Le savant ne peut être que savant, il ne veut pas avoir à faire avec la métaphysique et n'aspire qu'à
ce qui peut être expérimenté. Quant à ceux qui veulent philosopher, soit en tant que professionnels, soit parce qu'ils ont du
talent, ils le font en dehors des laboratoires».
Le prodigieux XXe siècle a approfondi encore davantage – à travers ses spécialisations analytiques extrêmes – ce
désaccord, en lui ajoutant une regrettable nuance de sous-appréciation mutuelle à cause, justement, du rétrécissement de
l'horizon de compréhension des parties, de sa «déchéance» de l'universel vers le général, voire même vers le particulier;
c'est ainsi que l'auteur d'un bien connu essai de biologie moderne pouvait écrire (au début de la huitième décennie de notre
siècle !) : «Aujourd'hui il est bien imprudent pour un homme de science d'utiliser le terme de ‘philosophie’, fût-elle
‘naturelle’, dans le titre (voire dans le sous-titre) d'un ouvrage. À coup sûr un tel ouvrage serait accueilli avec méfiance par
les scientifiques ou, dans le meilleur des cas, avec condescendance par les philosophes...».
Arrivés à un nouveau carrefour des siècles (et des millénaires) il est grand temps de constater – déjà tardivement –
combien dommageable pour les deux parties s'avère cette situation constituant, en fait, la cause directe de la percée massive
du réductionnisme simplificateur dans les sciences du physico-chimique, suivie de tout un cortège de paradoxes et
d'interprétations imaginaires, ainsi que de l'impuissance d'ordre théorique et philosophique d'expliquer et de dépasser cette
impasse majeure. Impasse qui, du fait de son ancienneté séculaire, s'est déjà institutionnalisée, en tendant de manière
toujours plus évidente à acculer la connaissance à un «sommeil second».
La sortie de cet état s'avère déjà extrêmement malaisée, vu l'immense fardeau représenté par le langage unanimement
utilisé dans les manuels et les traités de spécialité, de même que l'autorité accablante et inhibitrice exercée par les grands
esprits créateurs de la science du XXe siècle. Mais le plus «lourd» fardeau est notre humain préjugé, né de l'orgueil du
domaine étroit de spécialisation : «Actuellement les frontières épistémologiques se sont transformées en un cloisonnement
étanche et rigoureusement aseptisé, au-delà duquel l'exercice même de l'intelligence et de l'imagination semble paralysé.
Chacun se sent maître d'un patrimoine dont il interdit strictement l'accès aux étrangers...».
À quoi cette attitude d'exclusion, d'intolérance et de déconsidération mutuelle a-t-elle conduit ?
Malheureusement, les conséquences en ont été extrêmement graves, tout à fait dramatiques : on est parvenu à la
déformation aberrante de la «rationnelle» et harmonieuse image de la Nature physique, devenue méconnaissable : «Où en
sommes-nous à la fin du XXe siècle ? On voit apparaître une connaissance scientifique allant à l'encontre du sens commun
et privée de la collaboration des philosophes, une conception du monde tout à fait différente, une vision de l'univers qui
entre en conflit violent avec la raison habituelle – tellement stupéfiantes et non assimilables en sont les conséquences...».
Les références se font aux bien connues «énigmes» et «paradoxes» de l'interprétation standard du micro-univers : la
dualité onde/corpuscule, la non-localisation de la particule, l'annulation «télépathique» de l'onde de probabilité, le caractère
hybride – subjectif/objectif – de cette dernière, etc. De telles opinions tranchantes ont été exprimées – on le sait – non
seulement par les philosophes, mais aussi par certains des créateurs mêmes de la physique moderne : M. Planck, A. Einstein,
L. de Broglie, E. Schrödinger.
La présente étude se propose d'apporter sa pierre à la grande réconciliation entre chercheurs et philosophes puisque –
on va le voir – le vrai visage de la Nature ne peut nous être dévoilé – de manière objective – que grâce à leur coopération
fructueuse, consciente et préméditée. En effet, le débat ci-dessous – à la fois synthétique et critique – sur le siècle
«quantique», débat que l'auteur se propose de modérer impartialement, dévoilera au lecteur le fait que la responsabilité pour
la terrible impasse actuelle est bien plus large qu'on ne le soupçonne, puisqu'elle est due :
- aux chercheurs de la nature, lesquels ont surévalué les possibilités offertes par leur pensée purement scientifique,
«physicale», afin de généraliser – en notions et concepts – les résultats surprenants, «incompréhensibles», relevés par
l'expérience inédite du siècle;
- aux philosophes, qui n'ont pas su s'y prendre pour assimiler les résultats expérimentaux des chercheurs afin de les
synthétiser – à travers une conceptualisation appropriée – en conformité avec les normes dont on avait depuis longtemps
l'intuition et qu'avaient précisées les confrères auteurs de la philosophie critique et constructiviste de la connaissance
humaine;
- aux spécialistes des sciences du langage (linguistes ou bien philosophes), lesquels auraient dû trancher depuis longtemps
déjà dans le dialogue des chercheurs avec les philosophes de la science, vu qu'ils connaissent mieux que quiconque les
subtilités et les pièges cachés de ce merveilleux facteur unificateur de la connaissance universelle qu'est le langage.
Mais ils ne sauraient y parvenir qu'après avoir complété eux-mêmes les connaissances sur le concept «linguistique», classique
(«statique», synchronique-extensif) en leur ajoutant les connaissances décisives du concept philosophique, hégélien
(«dynamique», diachronique-intensif).
On avertit le lecteur de ce que les pages suivantes peuvent contrarier – voire choquer – à beaucoup d'égards notre sens
commun. Mais trop grave, trop important est l'enjeu pour qu'on continue à ménager la sensibilité individuelle du sens
commun.
La première partie de notre étude est destinée à préparer le support théorique de la (re)construction «pratique» ultérieure.
Certains sujets re-mis en discussion peuvent apparaître (aux linguistes, aux épistémologues ou bien aux philosophes du
langage) comme étant élémentaires, communs. Mais ils y trouvent leur raison d'être, puisqu'il est étonnant de constater que
trop de chercheurs éminents des sciences de la nature ne sont pas préoccupés au même point par «la manière dont
fonctionne l'esprit»,
c'est-à-dire par la «vie» fascinante des concepts (qu'eux-mêmes inventent ou bien découvrent), par
l'immense capacité de «retenir» la vérité de certains d'eux, que par les pièges subtils que ces concepts représentent lorsqu'ils
se «travestissent» dans la réalité même.
Le résultat final sera surprenant
: on aura écarté des définitions aujourd'hui «universellement» admises, on aura corrigé
l'interprétation donnée pendant un siècle à la relation (fondamentale) de Planck, on aura récupéré le sens quantitatif
originaire de la notion emblématique «quantum» (à présent détournée vers le qualitatif et le structurel) et – surtout – on
aura montré que les «entités» duelles, «illogiques» des sciences actuelles (simultanément et de manière complémentaire
ondulatoires et corpusculaires) ne sont, dans la réalité, que des concepts (abstraits !), soustraits donc (certes
involontairement) par les chercheurs au «jardin» des philosophes – à cause de leur déguisement trompeur, frauduleux, en
«chimères» physiques; on verra également que, reconnus comme tels, ils deviennent pour les philosophes parfaitement
intelligibles et trouvent enfin, après un siècle d'incessant tumulte, leur repos bien mérité : «[...] un regard plus profond sur
la nature antinomique ou, mieux, dialectique de la raison montre en général que tout concept est unité de moments opposés
[souligné par nous] auxquels, par conséquent, on pourrait donner la forme d'une affirmation antinomique».
Le lecteur constatera ainsi aisément que toutes ces interprétations imaginaires, déformatrices du réel étaient dues finalement au
«mélange» sans normes, réductionniste, entre concret et abstrait, entre discret et continu, entre micro- et macroscopique.
Et cela, dans les conditions où les deux niveaux du réel étaient en fait «divisés», et non pas seulement en tant que deux
choses différentes, mais aussi dans l'ordre temporel, puisque se succédant «l'un à l'autre» dans la hiérarchie structurelle-systémique de l'Univers.
C'est ainsi que, finalement, sur les ruines du frêle édifice érigé autrefois, on verra naître, tel le miraculeux Phœnix, la
simple et convaincante (du fait de son naturel) architecture du Monde physique,
harmonieusement complétée par une conceptualisation adéquate, authentiquement moderne. On verra s'étendre ainsi la voie déjà parcourue par les biologistes
et les linguistes ayant abouti aujourd'hui, grâce à leurs propres efforts, au «seuil» du concept philosophique de leurs
domaines.
L'auteur a publié ces idées (en roumain) il y a plusieurs années.
Plus récemment il les a reprises et développées (en y
incluant la problématique – également controversée – des «paradoxes» de la théorie mathématique des ensembles) dans
la perspective philosophique aristotélicienne-hégélienne.
Le dernier volume était structuré autour d'un noyau composé
par deux études de synthèse généreusement publiées sous l'égide de l'Institut de la Méthode (Suisse).
Le présent ouvrage représente une synthèse des principales implications théoriques-systémiques de la relation macro-micro, bien plus largement traitées dans le volume publié en 1997.
L'auteur doit beaucoup aux près de quarante séries d'étudiants avec lesquels il a collaboré et dont l'esprit vif, désireux
de savoir et non conformiste, l'a sans cesse poussé à chercher des réponses, à imaginer des (contre-)exemples et des
illustrations convaincantes.
L'espoir et notre bonne pensée se dirigent vers tous ceux qui auront suivi ce peu habituel débat, armés de patience et,
surtout, de bonne foi, animés du souhait sincère que – en dépit d'un éventuel inconfort personnel – ils puissent veiller
à ce que soit conservée cette «lumière sacrée» qu'est la Vérité scientifique élevée, «la chose la plus précieuse que l'homme
possède...».
On saura gré à tous ceux qui voudraient envoyer leurs remarques et suggestions, échos de la lecture de la présente étude,
à l'adresse de la Faculté d'Electrotechnique, 2 bd. Pârvan, 1900 Timişoara, Roumanie.
[Avant-propos de l'auteur]