Cet ouvrage retrace les deux parties, distinctes mais convergentes, d'une
quête qui contribue :
- à replacer la psychologie sociale dans le concert scientifique moderne,
profondément marqué depuis plus de 30 ans par les paradigmes cybernétique et
systémique;
- à redéfinir cette discipline, non par un «objet» qui lui serait propre, mais
par un «projet» qui serait la modélisation de l'action individuelle et
collective à partir d'une intelligence renouvelée des problèmes «corps-esprit»
et «individu-groupe»;
- à voir, dans cette discipline, moins une «science du naturel», s'attachant à
produire des connaissances invariantes sur un objet «positif» (ensemble de
données régies par des lois qu'il suffit de découvrir), qu'une «science de
l'artificiel» exploitant et fécondant les apports des sciences du naturel
(notamment, la psychologie et la biologie) ou d'autres sciences de l'artificiel
(l'intelligence artificielle, par exemple).
Dans la première partie, nous tentons vainement de repérer l'objet de la
psychologie sociale dans les travaux qui sont produits sous cette appellation.
Nous y trouvons seulement des micro-modèles qui semblent importés de l'extérieur
et que nous sommes tenté de relier à des paradigmes du passé (au sens de Kuhn,
1962, 1983). Par contre, nous n'y voyons guère la trace de paradigmes plus
récents (paradigme cybernétique, paradigme systémique, paradigme du système de
traitement de l'information, paradigme de l'autonomie) qui sont au cœur des
débats actuels dans la plupart des grandes disciplines scientifiques. La
psychologie sociale nous apparaît donc comme une sorte de discipline «colonisée»
qui absorbe tardivement des idées venues d'ailleurs, sans participer directement
à leur gestation.
Dans la seconde partie, nous cherchons à légitimer cette discipline moins par
un objet qui lui serait propre que par des orientations ou un projet qui
marqueraient sa spécificité. Intuitivement, nous faisons le pari que ces
directions peuvent apparaître au travers des cheminements de chercheurs qui, tel
Herbert A. Simon, ont contribué à l'émergence des paradigmes les plus récents
ou, tel Robert Pagès, ont refusé l'importation d'idées toutes faites. De fait,
par delà leurs différences de bagage ou de trajectoire, ces deux «défricheurs»
se caractérisent par des démarches transdisciplinaires qui se rejoignent sur le
thème de l'articulation des problèmes «corps-esprit» et «individu-groupe».
Au fil de ce parcours, émerge une thèse sur l'homme et les organisations
humaines que l'on peut résumer par les propositions suivantes :
- l'homme est constamment confronté au traitement de divers niveaux de son
«environnement externe et physique» et de son propre «environnement interne et
biologique»;
- pour ce faire, il manipule des symboles physiques qui constituent eux-mêmes
l'un des niveaux de la matière;
- véritables matériaux de l'esprit, ces symboles ont la propriété d'être
discrets et «déliés» de tout référent particulier, tout en se rattachant à des
signes et signaux plus continus et «liés» aux autres niveaux de la réalité;
- ils ont des fonctions interdépendantes de cognition, de communication et
d'organisation, grâce à eux, l'individu peut désigner et interpréter les objets
de son environnement interne et externe (cognition), échanger avec ses
congénères (communication) et organiser sa mémoire (organisation);
- ces caractéristiques structurelles et fonctionnelles délimitent les marges de
liberté de l'action de l'individu, tant à l'égard de son environnement interne
(problème «corps-esprit») qu'à l'égard de son environnement externe et de ses
congénères (problème «individu-groupe»);
- au plan individuel, l'homme est en mesure de se fixer des fins ou réaliser
des intentions qui sont suscitées par des représentations de son environnement
interne et externe; c'est ainsi qu'il peut accroître ses connaissances de la
réalité (découverte scientifique), créer des objets n'existant pas à l'état
naturel (invention technique) ou s'organiser collectivement (conception
sociale);
- la réalisation de ces intentions, caractéristique d'un objet téléologique
(capable de corriger son mouvement vers un but), repose sur l'existence de
boucles rétroactives qui relient les actions entreprises à une mémoire qui
organise l'expérience passée (connaissances et procédures d'action) et rappelle
les fins visées;
- au plan collectif, les organisations humaines sont des constructions
(agencements «fins-moyens») dont le pilotage va dépendre du développement de
systèmes naturels et artificiels de traitement et de mémorisation de
l'information;
- dans ces conditions, la psychologie sociale constitue, d'une part, une mise
en perspective particulière des apports des autres sciences pour l'intelligence
des problèmes «corps-esprit» et «individu-groupe» et, d'autre part, une science
de la conception et du pilotage des organisations humaines.
Ce rapide survol indique déjà que cette entreprise offre prise
à la critique sur divers points :
- elle reprend des concepts ou aborde des thèmes qui ont suscité de vives
controverses;
- elle opère une sélection qui peut paraître arbitraire parmi les travaux de
Psychologie sociale;
- elle se montre tout aussi arbitraire en recherchant de nouvelles orientations
dans les œuvres de deux chercheurs particuliers.
Il peut donc être utile d'afficher d'emblée une position claire sur ces
points, même s'ils sont abordés de manière plus détaillée par la suite.