Il y a peu de temps encore, la structure de la famille obéissait
à un ordre établi qui attribuait à l'homme la responsabilité de
subvenir aux besoins du foyer, en effectuant un travail productif ou
en exerçant une activité lucrative à l'extérieur de son cercle et à
la femme les tâches à vocation essentiellement internes du ménage.
Cette polarisation des travaux se retrouvait naturellement dans
l'éducation des enfants, la femme «prenant» à sa charge les problèmes
concrets et quotidiens, l'homme se réservant la tâche de les replacer
dans une perspective plus générale.
Cette situation, fruit d'un héritage ancestral, a été sévèrement
remise en cause par les mouvements féministes qui, au nom de
l'égalité des droits de l'homme et de la femme, jugent inacceptable
cette attribution d'office, indiscutable et indiscutée de leurs rôles
respectifs dans la cellule familiale et envers la société.
Il n'y a pas lieu de se prononcer sur le bien-fondé de la revendication
féministe : on ne peut considérer comme valable une répartition
des tâches largement perçue comme injuste par l'une des parties
concernées. Mais la réponse que la société a apportée à cette
revendication n'est pas satisfaisante : certes, la plupart des femmes
ont accès, de nos jours, à une vie professionnelle; mais l'homme, pas
plus que le couple, ne se sont pour autant remis en question. Le
problème posé à la famille par la revendication féministe s'est
trouvé reportée sur la société qui s'est vue progressivement
attribuer, en plus des tâches de formation, celles d'éducation.
Ce report n'est pas sans conséquences.
Ayant confié au système social, dans le but d'alléger les tâches
domestiques de la femme, une part pouvant être appréciable de la
prise en charge de l'éducation de ses enfants, le couple a, par ce
fait même, vu sa responsabilité s'atténuer; il en résulte un
désengagement qui se traduit par un net recul de l'aptitude à
affronter et à surmonter les difficultés de la vie. Devenu moins
responsable, moins engagé, le couple éclate plus facilement. Moins
sollicité, il perd son sens.
Livrés à l'anonymat par leurs parents, les enfants se socialisent
souvent de façon autonome, selon des règle qui échappent au monde
adulte, par lequel ils se sentent, sinon exclus, du moins peu
concernés. Dans ces conditions, l'éducation se fait mal.
Parents et enfants se tournent alors vers l'état providence, de
plus en plus sollicité, et dont on se rend chaque jour plus dépendant :
conséquence de l'abandon de ses propres responsabilités.
Par ailleurs, le système économique s'est promptement et
remarquablement adapté à cet accroissement soudain du pouvoir d'achat moyen
du couple : les loyers, le prix des voitures ont suivi une évolution
identique, plaçant ainsi les familles à revenu unique dans des
situations parfois précaires.
Il ne s'agit pas de peindre le diable sur la muraille, mais il y
a lieu de regarder en face toutes les conséquences d'un changement
qui est certes devenu nécessaire, mais qui n'a peut-être pas été
accompli selon une direction entièrement maîtrisée.
J'aimerais aborder ce problème important, qui nous concerne tous,
avec sérénité et un certain recul. Pour cela, je m'adresse
particulièrement aux femmes, mais pas exclusivement : ce groupe de travail
ne doit pas servir de relais aux mouvements féministes ni, à
l'inverse, de bastion réactionnaire. J'aimerais que les conséquences
de nos choix de société y soient analysés avec une certaine lucidité,
et que des modèles comportementaux préservant les intérêts de la
personne tout en donnant sa chance à la nouvelle génération puissent
être discutés dans un esprit constructif et responsable.
Les personnes qui se sentent interpellées voudront bien prendre
contact avec moi et me communiquer leur vision de la question et
leurs suggestions.
Nicolas Peguiron (1992)