Portrait du philosophe. Le philosophe est cet homme vigile et interrogatif
en quête de la juste conduite. Il se caractérise par son attitude
indiscrète envers les spécialistes s'estimant par trop
maîtres en leur domaine. Le philosophe les dérange, car il passe
les frontières entre les activités spécifiquement
distinctes; il leur pose aussi parfois des questions embarrassantes. Ils s'en
méfient. Cependant chacun de nous ne porte-t-il pas en lui cet
«in-discret», selon même qu'il est capable de dialoguer avec tout ce qui
intéresse et peut intéresser l'être humain ? Philosopher
consiste à prendre conscience de la capacité de dialoguer, la
développer en un art de la lutte des idées face à la
préoccupation de trouver un arbitrage légitime. La lutte n'est
celle du dialogue que si le souci de l'arbitrage légitime en habite le
centre. Son but vise l'accord fondé sur de justes critères.
Discuter n'est pas disputer la victoire, tâcher par n'importe quel moyen
de l'emporter sur l'adversaire. Le combat sert ici la cause des uns et des
autres : atteindre ce qu'il est juste de penser, de dire et de faire.
Du moment que le dialogue s'annonce, l'on part comme on peut d'une situation
donnée pour cerner progressivement les difficultés. À mesure que
les problèmes s'éclaircissent, une certaine rectitude
apparaît également. La justesse de la conduite ne découle
pas de principes a priori, mais de l'examen réussi devant les faits. Une
fois que l'on a obtenu quelque succès, l'on tente de voir ce qu'il
advient de nos vues sur des expériences parallèles à la
nôtre. Si le résultat nous est favorable, l'on est invité
à poursuivre la mise à l'essai plus loin. Il se peut que de
proche en proche l'on parvienne à un organon de justesse extensible
à la totalité de nos conduites en l'état actuel de
l'expérience humaine. Le philosophe est alors en droit de parler au nom
des hommes. Les concepts qu'il a édifiés en exigeant le verdict
d'une expérience de plus en plus étoffée l'y
autorisent.
Nous avons tous à être le sujet de nos conduites; nous avons
donc tous besoin de pouvoir en assurer la meilleure justesse possible. La
philosophie patiemment élaborée par Ferdinand Gonseth, homme du
dialogue s'il en fut, répond expressément à ce besoin de
l'arbitrage légitime. Loin d'être une pure affaire discursive,
elle revêt une importance décisive, jusque dans la vie quotidienne
de qui veut échapper à l'arbitraire, à la rigidité
des routines. Sa maxime : être ouvert à l'expérience,
à la vie qui bouge et invente.
[P.-M. Pouget, 4e page de couverture]