Livres écrits par des membres de l'Association F. Gonseth

André Demailly : La psychologie sociale – H.A. Simon et R. Pagès

L'interdisciplinaire, coll. Système(s), Lyon (1993), 374 p.
ISBN 2-907447-15-7

Cet ouvrage retrace les deux parties, distinctes mais convergentes, d'une quête qui contribue :

  • à replacer la psychologie sociale dans le concert scientifique moderne, profondément marqué depuis plus de 30 ans par les paradigmes cybernétique et systémique;
  • à redéfinir cette discipline, non par un «objet» qui lui serait propre, mais par un «projet» qui serait la modélisation de l'action individuelle et collective à partir d'une intelligence renouvelée des problèmes «corps-esprit» et «individu-groupe»;
  • à voir, dans cette discipline, moins une «science du naturel», s'attachant à produire des connaissances invariantes sur un objet «positif» (ensemble de données régies par des lois qu'il suffit de découvrir), qu'une «science de l'artificiel» exploitant et fécondant les apports des sciences du naturel (notamment, la psychologie et la biologie) ou d'autres sciences de l'artificiel (l'intelligence artificielle, par exemple).

Dans la première partie, nous tentons vainement de repérer l'objet de la psychologie sociale dans les travaux qui sont produits sous cette appellation. Nous y trouvons seulement des micro-modèles qui semblent importés de l'extérieur et que nous sommes tenté de relier à des paradigmes du passé (au sens de Kuhn, 1962, 1983). Par contre, nous n'y voyons guère la trace de paradigmes plus récents (paradigme cybernétique, paradigme systémique, paradigme du système de traitement de l'information, paradigme de l'autonomie) qui sont au cœur des débats actuels dans la plupart des grandes disciplines scientifiques. La psychologie sociale nous apparaît donc comme une sorte de discipline «colonisée» qui absorbe tardivement des idées venues d'ailleurs, sans participer directement à leur gestation.

Dans la seconde partie, nous cherchons à légitimer cette discipline moins par un objet qui lui serait propre que par des orientations ou un projet qui marqueraient sa spécificité. Intuitivement, nous faisons le pari que ces directions peuvent apparaître au travers des cheminements de chercheurs qui, tel Herbert A. Simon, ont contribué à l'émergence des paradigmes les plus récents ou, tel Robert Pagès, ont refusé l'importation d'idées toutes faites. De fait, par delà leurs différences de bagage ou de trajectoire, ces deux «défricheurs» se caractérisent par des démarches transdisciplinaires qui se rejoignent sur le thème de l'articulation des problèmes «corps-esprit» et «individu-groupe».

Au fil de ce parcours, émerge une thèse sur l'homme et les organisations humaines que l'on peut résumer par les propositions suivantes :

  • l'homme est constamment confronté au traitement de divers niveaux de son «environnement externe et physique» et de son propre «environnement interne et biologique»;
  • pour ce faire, il manipule des symboles physiques qui constituent eux-mêmes l'un des niveaux de la matière;
  • véritables matériaux de l'esprit, ces symboles ont la propriété d'être discrets et «déliés» de tout référent particulier, tout en se rattachant à des signes et signaux plus continus et «liés» aux autres niveaux de la réalité;
  • ils ont des fonctions interdépendantes de cognition, de communication et d'organisation, grâce à eux, l'individu peut désigner et interpréter les objets de son environnement interne et externe (cognition), échanger avec ses congénères (communication) et organiser sa mémoire (organisation);
  • ces caractéristiques structurelles et fonctionnelles délimitent les marges de liberté de l'action de l'individu, tant à l'égard de son environnement interne (problème «corps-esprit») qu'à l'égard de son environnement externe et de ses congénères (problème «individu-groupe»);
  • au plan individuel, l'homme est en mesure de se fixer des fins ou réaliser des intentions qui sont suscitées par des représentations de son environnement interne et externe; c'est ainsi qu'il peut accroître ses connaissances de la réalité (découverte scientifique), créer des objets n'existant pas à l'état naturel (invention technique) ou s'organiser collectivement (conception sociale);
  • la réalisation de ces intentions, caractéristique d'un objet téléologique (capable de corriger son mouvement vers un but), repose sur l'existence de boucles rétroactives qui relient les actions entreprises à une mémoire qui organise l'expérience passée (connaissances et procédures d'action) et rappelle les fins visées;
  • au plan collectif, les organisations humaines sont des constructions (agencements «fins-moyens») dont le pilotage va dépendre du développement de systèmes naturels et artificiels de traitement et de mémorisation de l'information;
  • dans ces conditions, la psychologie sociale constitue, d'une part, une mise en perspective particulière des apports des autres sciences pour l'intelligence des problèmes «corps-esprit» et «individu-groupe» et, d'autre part, une science de la conception et du pilotage des organisations humaines.

Ce rapide survol indique déjà que cette entreprise offre prise à la critique sur divers points :

  • elle reprend des concepts ou aborde des thèmes qui ont suscité de vives controverses;
  • elle opère une sélection qui peut paraître arbitraire parmi les travaux de Psychologie sociale;
  • elle se montre tout aussi arbitraire en recherchant de nouvelles orientations dans les œuvres de deux chercheurs particuliers.

Il peut donc être utile d'afficher d'emblée une position claire sur ces points, même s'ils sont abordés de manière plus détaillée par la suite.

Le choix des concepts et des thèmes

De fait, nous adoptons des concepts ou abordons des thèmes qui ont suscité et suscitent encore de grandes controverses. Ainsi :

  • la notion de «paradigme scientifique» qui oppose les partisans d'un progrès continu et cumulatif des connaissances à ceux d'un affrontement sans fin de représentations limitées de la réalité;
  • la distinction entre sciences du naturel et sciences de l'artificiel, à laquelle s'opposent les tenants du couple «sciences fondamentales-sciences appliquées»;
  • le problème «corps-esprit» qui a repris une nouvelle vigueur à l'occasion des progrès de l'intelligence artificielle et des neurosciences;
  • la notion de «niveaux de la réalité» ou de «niveaux d'organisation de la matière» connotant l'idée de hiérarchie, qui gêne autant les réductionnistes que les holistes;
  • les notions de finalité ou d'intention qui séparent les adeptes d'une explication causale ou d'une vision plus systémique et complexe de la réalité (le «parce que» contre «l'afin de»);
  • le problème «individu-groupe» qui oppose les partisans de l'organicisme social (à la manière d'Espinas ou de Spencer), des faits sociaux intégraux (à la manière de Durkheim) ou du déterminisme de l'histoire (à la manière de Comte ou de Marx) à ceux qui n'y voient que des mythes.

[Extrait de la préface de l'auteur]

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Mise à jour : 2009-01-02