L'axiomatisation schématique

2.3 L'horizon syntactique

La première mesure qui s'impose est donc de rendre aux assemblages de signes d'écriture leur qualité de mots et de phrases au sein d'une langue intelligible. Du même coup nous réintroduisons aussi un principe de choix (ou mieux encore un principe d'exclusion) limitant les combinaisons littérales admissibles. Il y a des mots, des suites de mots qui, au sein d'une langue déterminée, ne peuvent rien signifier pour la simple raison qu'ils n'y figurent pas ou qu'ils contreviennent aux règles de la syntaxe de cette langue. (La syntaxe d'une langue, dans le cas idéal, devrait décrire les associations de termes qui sont admissibles et indiquer les caractères de celles qui ne le sont pas. En réalité, la syntaxe d'une langue s'établit bien plus par la conformité à certains modèles et à certains usages que par l'observation de règles explicites).

Dans la combinaison suivante, par exemple :

L'homme est ni,

tous les mots appartiennent au vocabulaire de la langue française. Elle est pourtant syntactiquement incorrecte dans cette langue. La phrase incomplète suivante :

L'homme est *

(où l'astérisque indique la place d'un mot indéterminé) peut être correctement complétée; par exemple, en remplaçant l'astérisque par un adjectif. Les phrases que voici :

L'homme est mortel et L'homme est immortel

sont toutes deux correctes. Mais la syntaxe exclut la possibilité de remplacer l'astérisque par une conjonction.

La correction syntactique à elle seule représente ainsi un critère permettant d'exclure déjà de notre système axiomatique un certain nombre de phrases défectueuses. Mais les deux phrases complétées qui précèdent font bien voir que ce critère ne pourra suffire, puisqu'elles se contredisent l'une l'autre.

Pour que la dialectique puisse se mettre en branle, il ne suffit donc pas que la base axiomatique soit grammaticalement et syntactiquement irréprochable. Et d'ailleurs, on ne se propose aucunement de déduire toutes les phrases qui satisferaient au critère de correction dont nous venons de parler. Considérons, par exemple, les deux énoncés géométriques suivants :

I3 – Par deux points différents, il passe seulement une droite
I3' – Par deux points différents, il passe au moins deux droites.

Du seul point de vue de la langue, ces énoncés sont parfaitement admissibles, l'un et l'autre. Mais du point de vue de notre dialectique déductive, ils sont incompatibles. Si l'on prend I3 comme axiome, I3' doit être écarté. Et s'il arrivait que I3' fût démontrable, c'est I3 qui serait à exclure.

La dialectique a donc le droit de légiférer sur des phrases dont la forme est correcte et dont le sens nous est encore problématique. Et tout ce que, pour l'instant, nous en savons, c'est que l'incompatibilité des énoncés n'est pas d'origine «linguistique», mais d'origine dialectique. Elle doit résider dans leur signification, dans les rapports mutuels de leurs significations. La dialectique opère par ses propres moyens une sélection parmi les énoncés syntactiquement irréprochables. Pour pouvoir en rendre compte, il nous faut faire un pas de plus dans le rétablissement de la signification intuitive de nos énoncés.

Revenons aux conditions dans lesquelles la déduction opère. La dialectique avec ses nécessités et ses évidences propres, disions-nous, vient suppléer l'intuition directe de l'espace. Or, les mots dans lesquels cette intuition repose spécialement sont ceux qui désignent les notions fondamentales : point, droite, passer par, etc. Ce sont donc spécialement ces mots dont la signification doit être annulée ou réduite. Les autres mots qui sont dans le langage courant supportent au contraire l'appareil dialectique : ils devront être maintenant maintenus dans leurs fonctions habituelles.

Cette analyse nous a ramenés bien près de notre point de départ. Nous avons à prendre note que les énoncés sur lesquels la dialectique s'exerce sont des phrases composées selon les règles et les usages de la langue française avec deux sortes de mots. Les uns recèlent leur sens usuel, et exercent dans la structure verbale leur rôle normal. Ce sont les mots tels que un, deux... et, ou,... avec, si, alors,... librement, nécessairement, etc. Ils forment une armature verbale dans laquelle les autres mots, ceux de «point», de «droite», etc., sont encastrés. Ces derniers n'ont pas encore retrouvé de signification. Ils sont comme des formes vides et n'indiquent, dans le texte, que la place qu'ils occupaient primitivement. Le problème est de remplir à nouveau ces formes vidées de leur sens d'un sens nouveau (et réduit) sur lequel la dialectique puisse reprendre prise.

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Mise à jour : 2005-09-20